Lectures Transversales

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SUPERAMAS Inversions de tendances

 

Au festival Mettre en scène, le collectif Superamas agence la narrativité des rythmes qui sont devenus la commune publicité d'interventions vides de sens.

Le festival Mettre en scène au Théâtre national de Bretagne à Rennes, est assez représentatif de ces « hors-saison » que mettent en place les institutions théâtrales pour montrer ce qu'elles ne savent pas, pour quelques raisons, programmer pendant l'année courante. Présentés comme des événements, ces présentations festivalières ou simplement particulières dans la communication qui les accompagne portent le sceau de l'exceptionnel, de l'inattendu, de ce qui sort de l'ordinaire; et ce manteau-là semble nécessaire pour comment dire pour assumer, ou pour légitimer devant ses spectateurs des productions faisant quant à elles librement fi des conventions communes de présentation.

L'édition 2003 de Mettre en scène était de surcroît qualifiée «d'édition spéciale», pour cause de protocole sur le statut des intermittents. Ainsi, l'esprit de réforme de notre pays est devenu l'état normal et courant, et ce qui devrait être l'évident - les théâtres et autres lieux d'art comme espaces d'expérimentation des formes et des langages - est étonnant. Il y a comme une inversion, non?

La soirée que proposait le groupe franco-autrichien Superamas ne parlait pas d'autre chose, et c'est bien de l'inversion des langages dont elle témoignait; même si, en tant qu'oeuvre elle faisait ce qu'elle disait plus qu'elle est disait ce qu'elle faisait. Caractéristique de ces spectacles qui posent problème aux programmateurs et qui pour autant n'ont rien à faire ailleurs, dans un musée, une galerie ou autre, elle revendique légitimement l'espace du théâtre. Il y a pourtant de quoi être dérouté : le spectateur est invité à une soirée en deux parties, dont la première est une déambulation entre deux installations et trois projections. La seconde est un spectacle, ou plutôt un spectacle moquant le spectacle prévu et attendu, autrement dit déjà autre chose qu'un spectacle. Les cinq premières présentations ont en commun, à travers des oeuvres qui n'ont rien de disparate malgré leur forme, la différence entre ce que l'on perçoit, ce que l'on attend et ce que l'on se raconte; chacune mettait en jeu la narrativité des rythmes; plus que d'une figure ou une situation, un rythme induit des histoires particulières; le reste est chose courante, symboles habituels, billevesées vides de sens, pur matériau; ainsi les films étaient des collé-montés mettant en jeu des jeunes gens très comme il faut et propres sur eux intercalés au milieu d'extraits de publicités, de semblants d'histoires façon roman photo sur fond de prétexte historique ou cinématographique; et l'on sait l'importance du rythme dans tout montage. Une installation jouait sur un long panneau de lés verts, variant faiblement, alternant les figures géométriques sur un rythme que l'oeil peinait à percevoir; la dernière, rassemblant l'ensemble, plaçait des acteurs immobiles alternants des situations glacées entre un homme et deux femmes, entouré par des ampoules simples s'allumant et s'éteignant alternativement sur des rythmes variés: chaque éclairage semblait changer notre vision de la scène, mais en même temps le rythme des clignotements venait battre le tempo des tensions invisibles mais contenues dans les situations vues.

Les spectateurs auront vraisemblablement retenu le spectacle BIG 1st episode, monté comme un relaty-show, dans lequel on voyait des «bo-bos» de type international (comme on parlait naguère du style international en architecture) reprendre et reprendre des scènes tenant à la fois de la fiction et de la publicité, c'est à dire vides de tout enjeu mais pleine d'intentions extérieures à elles-mêmes. Proprement mises en jeu, chaque reprise de scène entraîne le décalage d'un médium utilisé, voix, paroles modifiées ou reprises différemment, sans système mais bien selon la logique d'un jeu s'épuisant de lui-même... jusqu'à la scène finale, publicité pour une Toyota flambant neuve faisant mine d'accessoire au milieu des spots de cinéma, avec playmates, logo, strob et show light... la représentation n'a pas de limite dans ses matériaux. Le drame n'est pas dans les objets mais bien dans leurs rythmes...

 

Eric VAUTRIN Publié le 20-11-2003